Le 16 janvier 2025, en milieu d’après-midi, une rumeur alarmante a commencé à circuler sur les réseaux sociaux : un coup d’État aurait eu lieu au Bénin, et le président Patrice Talon aurait fui au Nigeria. Une information rapidement démentie par les autorités béninoises.
Cependant, plusieurs comptes ayant relayé cette fausse nouvelle ont supprimé leurs publications ou les ont rendues privées. Les auteurs de cette désinformation ont exploité les commémorations du coup d’État manqué de 1977 en diffusant des images de militaires béninois pour renforcer l’illusion d’un putsch en cours. Ce scénario, déjà observé à plusieurs reprises, s’inscrit dans une série de campagnes de désinformation visant à déstabiliser le Bénin.
Selon des investigations publiées sur le site Nasuba.info, cette campagne de désinformation trouve ses racines dans plusieurs pays de la région, notamment au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), et bénéficie d’un soutien indirect de réseaux russes liés au groupe Wagner. Parmi les figures centrales de cette machine de propagande, l’activiste franco-béninois Kemi Seba apparaît comme un relais stratégique.
En effet, la fausse information du 16 janvier 2025 a été initialement diffusée par des comptes influents tels que « Gbagbo Fils Koné » sur TikTok, avant de se propager massivement sur Facebook, X (ex-Twitter), et YouTube. Certains des comptes impliqués sont des récidivistes en matière de fake news ciblant spécifiquement le Bénin.
D ‘ailleurs, le choix du 16 janvier pour orchestrer cette campagne est tout sauf un hasard : cette date marque l’anniversaire de l’échec du coup d’État de 1977 contre le Bénin, dirigé par le mercenaire français Bob Denard.
Chaque année, l’armée béninoise rend hommage aux soldats tombés ce jour-là. L’opération de manipulation semblait également viser à déstabiliser les marchés financiers, alors que le Bénin négociait une levée de fonds cruciale. Toutefois, cette tentative a échoué : dès le lendemain, le 17 janvier, le pays a réussi à lever 1 milliard de dollars sur les marchés internationaux, ce qui démontre que la confiance des investisseurs n’avait pas été ébranlée.
La Côte d’Ivoire et le Sénégal, prochaines cibles de ces campagnes de désinformation
Si le Bénin reste une cible privilégiée de cette guerre de l’information, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest sont désormais dans le collimateur. Des discussions sur Telegram laissent entrevoir que la Côte d’Ivoire et le Sénégal pourraient être les prochaines cibles de ces campagnes de désinformation. Face à cette menace, plusieurs gouvernements de la région renforcent leur lutte contre la manipulation numérique.
La tentative de déstabilisation du Bénin en janvier 2025 n’est donc pas un cas isolé. Elle fait partie d’une dynamique plus large où l’information est utilisée comme arme politique. Avec des acteurs comme l’AES, Kemi Seba, et des réseaux liés à Wagner, l’Afrique de l’Ouest devient un terrain de confrontation où la guerre de l’influence se joue autant sur le terrain qu’en ligne. Parmi les comptes régulièrement impliqués dans la propagation de fausses informations sur le Bénin, on retrouve notamment :
• X (ex-Twitter) : Ma Patrie Mon Combat
• YouTube : Deem TV
• TikTok : Burkinabè et Fière, Oxymore de Woody 2, Deme Inoussa, Kader Officiel, Saki Gbi De Gbagbo, Bamadaflow, Ibra le Créateur Premier, AYHA, Abou, General La Vérité, Mas Boy 24h/224, Im The Light Of The World
• Facebook : Pierre Claver Ouedraogo, Aly Sawadogo (La Fierté), Boda Wilfried, Peuple de l’AES, Légion AES, Chris Yapi TV News
Ces comptes ne se contentent pas de diffuser ponctuellement de fausses informations ; ils participent à une stratégie plus large visant à discréditer le gouvernement béninois et à légitimer certains narratifs politiques portés par l’AES et ses alliés. L’analyse des publications permet de distinguer trois types d’acteurs dans cette campagne de désinformation :
1. Les “meneurs” : Ceux qui lancent les campagnes en publiant les premiers messages et éléments de langage. Parmi eux, on retrouve « Gbagbo Fils Koné », « Chris Yapi TV », et « Légion AES ».
2. Les “suiveurs” : Ceux qui amplifient les messages des meneurs en les relayant massivement, souvent de manière automatique ou robotisée.
3. Les “légititeurs” : Des influenceurs à forte audience, comme Alino Fasso, Franklin Nyamsi, ou Nathalie Yamb, qui interviennent pour donner une apparence de crédibilité aux narratifs diffusés.
Ce mode opératoire rappelle les techniques de manipulation de l’information déjà documentées dans d’autres contextes de guerre de l’information, notamment en Afrique de l’Ouest.
Le rôle du BIR-C et des relais de Wagner
Un point clé de cette manipulation est le BIR-C (Bataillon d’Intervention Rapide de la Communication), une unité de propagande numérique mise en place pour soutenir le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition du Burkina Faso. Plusieurs enquêtes internationales ont déjà révélé que certains membres de ce groupe étaient impliqués dans la diffusion de fausses informations à l’échelle régionale.
Un exemple marquant est celui d’Ibrahim Maïga, un activiste burkinabè résidant aux États-Unis, dont le compte Facebook (938 000 abonnés) est identifié comme un centre névralgique de la désinformation pro-AES. Des traces de collaboration avec des groupes russophones sur Telegram ont également été retrouvées. Dans plusieurs canaux, le « Проект Кеми » (« Projet Kemi » en russe) est mentionné, en référence à Kemi Seba. Ce dernier aurait reçu au moins 440 000 dollars de financement du groupe Wagner pour promouvoir un agenda panafricaniste aligné sur les intérêts russes.
Le « Projet Kemi » : un outil de soft power russe en Afrique
Des documents obtenus par les médias Arte/CAPA, Die Welt, ainsi que par les organisations All Eyes On Wagner et Dossier Center, révèlent que le Projet Kemi était directement supervisé par Youri Makalov, analyste des services secrets russes et ancien responsable du programme Lakhta (programme russe de manipulation des réseaux sociaux). L’objectif de ce programme était de soutenir l’ascension de Kemi Seba en Afrique, à la fois comme figure politique et influenceur pro-russe. En échange, il devait :
• Structurer un mouvement panafricain hostile aux influences occidentales, notamment françaises et américaines.
• Légitimer la présence russe en Afrique à travers un discours anti-impérialiste.
• Participer à des opérations de manipulation de l’information ciblant des gouvernements jugés trop proches de l’Occident.
Ces éléments expliquent pourquoi Kemi Seba a publiquement soutenu l’invasion russe de l’Ukraine, malgré son discours anti-impérialiste revendiqué.
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