Dans Noires Origines, son ouvrage révélateur, Howard French, universitaire et journaliste américain, remet en cause les narrations historiques qui minimisent le rôle essentiel de l’Afrique dans la formation de l’Occident. Publié par les éditions Calmann-Lévy, cet essai met en lumière comment l’essor européen, souvent perçu comme un processus autonome, est en réalité profondément ancré dans les interactions avec le continent africain, notamment à travers la traite négrière.French débute son récit au XIVe siècle, période où les Africains, en particulier ceux de l’empire du Mali, établissent des liens avec le Moyen-Orient.
Cette époque marque une prise de conscience en Europe de la richesse aurifère du Sahel, déclenchant une ère d’exploration. Le voyage emblématique de Mansa Moussa, empereur du Mali, en 1326 à La Mecque, avec son impressionnant cortège et ses tonnes d’or, capte l’attention des Européens, incitant les Portugais à explorer l’origine de cette richesse. L’atlas catalan de 1375, représentant Mansa Moussa sur un trône d’or, symbolise cette nouvelle ère de découverte.
Pour la première fois, les Européens prennent conscience des grandes civilisations africaines, ce qui nourrit une quête avide pour découvrir et contrôler les ressources de l’Afrique. Selon French, cette recherche de l’or ne fut pas seulement un moteur d’exploration, mais également le point de départ d’une tragédie : la traite des esclaves.Le Portugal, alors un royaume modeste, doit financer ses explorations maritimes.
Henri le Navigateur, soutenu par la couronne, commence à établir des relations commerciales avec les côtes africaines, d’abord pour l’or, mais rapidement pour échanger des esclaves. Constatant la richesse que la main-d’œuvre africaine pouvait apporter, les Européens s’engagent dans ce commerce, transformant la traite négrière en une institution établie. Au XVIe siècle, environ 15 % de la population de Lisbonne est d’origine africaine, témoignant des échanges dramatiques survenus bien avant la découverte des Amériques.
French souligne que la découverte du Brésil par les Portugais, en quête de nouvelles routes vers l’Inde, a ouvert un chapitre d’exploitation intense des ressources, donnant naissance à une industrie de la canne à sucre reposant sur le travail forcé des esclaves. Ce modèle d’exploitation, qu’il qualifie de « chattel slavery », a établi des bases raciales pour l’esclavage, pérennisant un système où les enfants d’esclaves héritaient de ce statut.
Les plantations de sucre à Sao Tomé, puis dans les Caraïbes et au Brésil, sont dépeintes comme des lieux d’exploitation brutale. L’espérance de vie d’un esclave sur ces plantations ne dépassait guère cinq ans, soulignant la violence intrinsèque à ce système. French affirme que le travail des esclaves africains a été crucial pour la rentabilité des colonies et la formation de l’Occident tel que nous le connaissons.
En définitive, Noires Origines incite à reconsidérer notre compréhension de l’histoire mondiale. French plaide pour une reconnaissance du rôle fondamental de l’Afrique dans l’essor de l’Europe, un aspect souvent négligé mais essentiel pour appréhender les dynamiques contemporaines. Cet ouvrage, érudit et provocateur, ouvre la voie à des discussions nécessaires sur les racines de notre monde moderne.
Laisser un commentaire