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Le Bénin sous Talon : Une métamorphose économique en marche ?

En 8 ans de mandat, Patrice Talon a imprimé  sa marque sur  l’économie béninoise. A coup  de réformes accompagnées  d’investissements massifs, le pays se métamorphose. Reste toutefois, quelques  zones  d’ombre, mais la dynamique semble bien engagée.

Une  série de grandes crises exogènes : la fermeture des frontières avec le Nigeria, son principal partenaire économique ; la pandémie de Covid-19, qui a forcé un arrêt des activités à l’échelle mondiale ; et le conflit russo-ukrainien, aux lourdes conséquences pour les économies dépendantes des exportations. S’ajoute à cela une crise régionale, notamment politico-sécuritaire, marquée par la fermeture des frontières avec le Niger en application des sanctions de la CEDEAO, voisin du nord et client majeur du port de Cotonou, véritable poumon de son économie. Et pourtant, l’économie béninoise tient encore débout, et  mieux affiche un  visage remarquablement résilient. Les principaux indicateurs semblent au vert pour ce pays, qui souffrait encore fortement en 2016, des revers économiques de son géant voisin de l’Est, le Nigeria. Un constat qui désormais dément les dictons populaires en vogue dans les rues et les milieux introduits de Cotonou affirmant que « Quand le Nigeria tousse, le Bénin s’enrhume », ou encore, de manière plus imagée, comme le titrait Le Point en juillet 2016 : « Quand le naira plonge, le Bénin entre en récession ». Non seulement ces défis n’ont pas coulé le pays, mais ils semblent avoir servi de rampe de lancement pour construire une économie progressivement et structurellement plus solide. Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, le président Patrice Talon a insufflé un vent de changement au Bénin.  Cette nation d’Afrique de l’Ouest, longtemps en quête de stabilité économique, a connu une série de transformations.  Le pays semble en pleine métamorphose, mais des ombres persistent au tableau.

 

Un essor économique

Le moteur principal de cette transformation ? La robuste croissance économique enregistrée ces dernières années. En 2015, le Bénin ne connaissait qu’une hausse modeste de son PIB, de seulement 1,8 %, selon l’Institut national de la statistique et de la démographie (Instad). Mais en 2022, les chiffres s’envolent jusqu’à 7,1 %, une performance qui surpasse même la moyenne régionale en Afrique subsaharienne. Dans une Afrique de l’Ouest confrontée à une inflation et à des troubles politico-sécuritaires sans précédent ces trois dernières années, le pays tire son épingle du jeu et poursuit sa route bille en tête avec une croissance moyenne supérieure à 6,3 %. Pour 2024, les prévisions de croissance sont toujours ambitieuses, dépassant les 6 %, ce qui pourrait placer le pays parmi les dix économies mondiales en pleine expansion. Régulièrement membre de ce club sélect sous la houlette de l’homme d’affaires, le Bénin est même parvenu à maintenir une trajectoire de croissance acceptable, dépassant les 3 %, en pleine pandémie de Covid-19.

Ces robustes performances de l’économie béninoise sont sans doute le point d’orgue du mandat de Talon. Elles se sont notamment traduites par une augmentation des recettes fiscales – qui ont plus que doublé – et une amélioration du niveau de vie pour une partie de la population. Et même si, sur le plan social, les politiques de l’homme d’affaires  sont souvent perçues comme “trop libérales” par ses détracteurs, “Talon  fonce”. Le taux de pauvreté, bien qu’élevé à 38,2 % en 2021, a néanmoins légèrement reculé par rapport aux 40,1 % de 2015. Mais, au-delà de ces chiffres, la ‘méthode Talon’ semble avoir modelé tous les secteurs de l’économie. « Talon a rétabli l’autorité de l’État », admet un membre de l’opposition aile dure, la lutte anti-corruption, domaine où le président, connu pour son intransigeance et sa persévérance, s’est distingué. Sous son égide, la justice n’a jamais autant été mobilisée sur les affaires de crimes financiers. « Le problème au Bénin, c’est que les Béninois étaient riches et l’État pauvre », commente ce Togolais, fin connaisseur du Bénin depuis ses années à l’UNB dans les années 1980.

Qu’à cela ne tienne. Le mandat de Talon restera surtout marqué par d’audacieuses réformes, parfois “impopulaires mais nécessaires”, analyste un financier  basé à Cotonou. Des avancées significatives en infrastructures, le tourisme, le Port, l’industrialisation, l’augmentation des salaires, l’éducation, le secteur  agricole. Depuis son arrivée au pouvoir, “le pays a véritablement bénéficié d’un coup de pinceau rénovateur” poursuit le jeune de la trentaine qui opère sur le marché de la BRVM.

L’agriculture, pilier de la transformation

Qui a dit que le Bénin ne pouvait pas être une puissance agricole ? Patrice Talon et son ministre de l’agriculture, Gaston Dossouhoui, ne le croient pas une seconde. Empli d’émotion, ce dernier laissait échapper quelques larmes devant les députés en 2019 lorsqu’il annonçait que le Bénin devenait le premier producteur de coton d’Afrique. Une révolution pour une filière qui, une dizaine d’années plus tôt, multipliait les performances en demi-teinte.

La production de coton, principal produit d’exportation du pays, a plus que doublé en six ans, passant de 269 222 tonnes en 2015-2016 à 735 000 tonnes en 2021-2022. Cette explosion propulse le Bénin au rang de premier producteur africain de coton depuis 2018-2019. Des réformes gouvernementales, un meilleur accès aux intrants et la mécanisation agricole sont les catalyseurs de ce boom. Et malgré les défis posés par les fluctuations des prix mondiaux, le changement climatique et les parasites, Cotonou vise haut : un million de tonnes d’ici 2026, avec des investissements dans la recherche, l’irrigation et la transformation du coton pour y parvenir.

Mais l’élan ne se limite pas au coton. Pilier de l’économie béninoise, l’agriculture dans son ensemble connaît un essor remarquable.

Usine de fabrication de vêtements Made in Bénin

 

D’autres cultures, telles que la noix de cajou et le riz, affichent des progressions similaires, avec des augmentations respectives de 75 % et 46 % sur la même période. Sous Talon, la filière riz a rapidement évolué, passant de 363 000 tonnes en 2018 à 531 000 tonnes en 2022, et le gouvernement redouble d’efforts pour atteindre le million de tonnes d’ici la fin du mandat. Pour la noix de cajou, deuxième produit d’exportation agricole après le coton, la production a atteint 215 000 tonnes d’anacardes, avec l’objectif de monter à 300 000 tonnes d’ici 2026, ce qui placerait le pays parmi les trois plus grands producteurs d’Afrique de l’Ouest. La production vivrière suit également cette tendance ascendante, en dépit des caprices du climat.  Toutefois, le défi reste entier car selon une récente  étude de la BAD, ces efforts n’ont toujours pas réussi à inverser la tendance. Le taux d’insécurité alimentaire a bondi de 9,6% à 26% entre 2017 et 2022.

Pari sur la transformation industrielle

“Le gouvernement a saisi l’importance de consolider ses succès agricoles par des projets structurants qui stimulent simultanément l’économie et la création d’emplois, notamment la transformation locale,” confie un haut fonctionnaire béninois. Transformer sur place les produits agricoles tels que le coton, domaine où le Bénin excelle, incarne le cœur même du projet de la GDIZ, un chantier majeur conçu pour “dynamiser la croissance économique et générer de l’emploi”, assurent les autorités béninoises.

Cette zone spéciale s’étend sur 1650 hectares, à environ 40 km de Cotonou, et regroupe plusieurs complexes industriels, dont une importante zone textile dédiée à la transformation du coton béninois. Développé en collaboration avec Arise IIP, acteur majeur de l’investissement et du développement de zones économiques également présent au Gabon et au Togo, ce projet est en cours de construction mais certaines usines y produisent déjà leurs premiers articles estampillés « made in Bénin ». Letondji Beheton, directeur de la Société d’Investissements et de Promotion de l’Industrie (Sipi), évoque une « révolution » en marche.

La zone textile de la GDIZ, notamment le complexe Bénin Textile (BTex), est en passe de devenir, à la fin des travaux, la plus grande chaîne d’usines de textile intégrée au monde, comprenant filature, tissage et confection. BTex commence déjà à produire des vêtements destinés au marché américain. Pour Cotonou, ces installations permettront de valoriser localement le coton et de créer une chaîne de valeur intégrale dans le secteur textile. Avec l’ajout en cours d’autres complexes de transformation de la noix de cajou et du soja, le projet qui sera inauguré d’ici la fin de cette année, vise à créer plus de 30 000 emplois directs et indirects.

Visite de la Ministre Allemande Schulze et VP Banque Mondiale Diagana à la GDIZ

Modernisation des infrastructures, un levier de développement

Le développement économique ne peut se concevoir sans infrastructures adéquates, ne cesse de marteler l’ancien roi du coton depuis le début de son mandat. Sous son impulsion, le Bénin a lancé d’importants chantiers, notamment la construction de routes et de ponts visant à désenclaver certaines zones rurales pour faciliter l’écoulement des productions agricoles.

« J’adore le nouveau Cotonou », s’exclame Mme Koné touriste ivoirienne, de passage dans la principale ville du pays.

Ces cinq dernières années, Cotonou a subi une véritable métamorphose : asphaltage, érection de statues comme celle de la place de l’Amazone, nouvel attrait de la ville, création de jardins, aménagement du boulevard de la Marina, un chef-d’œuvre architectural, et la construction de dizaines de marchés ultra-modernes et de places publiques. L’éclairage public, l’assainissement et la propreté font de la ville côtière l’une des plus propres de la sous-région.

« Cotonou n’avait rien d’une capitale économique il y a quelques années », aime  à rappeler José Tonato, le ministre du Cadre de Vie, cheville ouvrière de cette dynamique, persuadé que la ville « doit être une étape incontournable sur le corridor Abidjan-Lagos ». C’est d’ailleurs l’objectif de son patron : faire du Bénin une destination touristique de premier plan dans la sous-région. Pour cela, Patrice Talon n’a pas lésiné sur les moyens : un milliard de dollars d’investissement pour développer des infrastructures touristiques autour de plusieurs pôles. Parmi eux, l’aménagement de la route des pêches, un long cordon de sable de quarante kilomètres reliant Cotonou à la cité historique de Ouidah, doit devenir un lieu animé par des restaurants, des entreprises, l’hôtellerie, des plages, une station balnéaire, un club MED et des parkings modernes, avec une majorité des projets déjà en construction. Dans les villes de Cotonou, Ouidah, Abomey, et Porto-Novo, qui est en train de se connecter à Cotonou via une autoroute, les musées émergent du sol. À Nikki au nord, les arènes pour la célébration de la Gaani, une fête identitaire, prennent forme. « Tout le pays est en chantier », s’émerveille une touriste togolaise, venue constater la dynamique en cours.

Route des Pêches

Abomey-Calavi, nouveau pôle

Par ailleurs, le gouvernement a ouvert un autre front : il s’attaque à la décentralisation des infrastructures et à la concentration excessive des activités à Cotonou. À Abomey-Calavi, considérée comme une ville-dortoir périphérique de Cotonou, un autre ensemble d’infrastructures est en cours de réalisation. Sur le site de Ouèdo, ce ne sont pas moins de 12 000 logements qui sortent de terre, financés par des acteurs locaux tels que des banques, des assureurs, la CNSS,  ou la BOAD, et la BID, le tout sous l’œil vigilant du gouvernement. À deux pas, le nouveau marché de gros qui est à un stade avancé est envisagé pour récupérer une partie des activités agroalimentaires du marché de Dantokpa, géant d’Afrique de l’Ouest, qui doit quitter son site actuel pour des projets immobiliers. Tout près, le parc logistique du port de Cotonou doit s’implanter également. S’ajoute à cela la cité administrative, un ensemble de quinze bâtiments destinés à héberger les directions techniques des ministères. Pour le président, Abomey-Calavi, qui abrite la GDIZ et le futur aéroport de Glo-Djigbé, n’est rien de moins que l’avenir urbain du pays.

Logements Sociaux à Ouèdo ( Abomey-Calavi)

Le Port et l’aéroport, en  pleine modernisation

D’ailleurs, le projet d’une nouvelle plateforme aéroportuaire compte parmi les occasions manquées du mandat : le gouvernement a finalement opté pour moderniser l’actuel aéroport de Cotonou en attendant de nouvelles évolutions. Véritable vitrine du pays, l’aéroport de Cotonou s’est offert une cure de jouvence, marquée par d’importants investissements et une extension destinée à accueillir davantage de trafic aérien.

Le port de Cotonou, principal point d’entrée et de sortie du commerce international du Bénin, a également subi une modernisation significative pour accroître son efficacité. Dès 2018, sous gestion déléguée du Port d’Anvers, il s’est engagé dans un programme de travaux de grande envergure, avec des investissements estimés à plus de 450 milliards de FCFA (environ 685,9 millions d’euros). Ce plan d’investissement inclut la construction d’un terminal pour les trafics de vrac, la rénovation du quai Nord, l’agrandissement du terminal des hydrocarbures, un parking à Zongo pour décongestionner le port, ainsi qu’un vaste centre d’affaires maritime et une plate-forme logistique, tous en cours de construction. Des infrastructures destinées à rendre le port compétitif et moderne, combinées à la digitalisation accrue des services, face à la concurrence accrue des ports sous-régionaux, notamment celui de Lomé.

Port Autonome de Cotonou

Une e-administration en marche

Le pari de la digitalisation ? Patrice Talon et son gouvernement l’ont relevé, une orientation qu’ils revendiquent pleinement. Depuis son accession au pouvoir en 2016, le président Talon a placé la digitalisation au cœur de sa stratégie de développement pour le Bénin. Porté par une vision ambitieuse, ce choix a transformé le pays de manière spectaculaire, le hissant parmi les leaders africains de l’innovation numérique. La croissance de l’accès à internet a été fulgurante, le taux de pénétration bondissant de moins de 20 % en 2016 à plus de 40 % en 2023.

Grâce à l’ASIN, de nombreux services offerts par l’administration publique — souvent critiquée pour sa lenteur et sa corruption — ont été digitalisés, réduisant ainsi délais et coûts pour les citoyens. Casier judiciaire, acte de naissance, carte d’identité, passeport, création d’entreprise, paiements de factures d’électricité et d’eau : une centaine de services sont désormais accessibles en ligne.

Bonne signature

Pour financer ces plans d’investissements, la lourde mission de nettoyer les écuries d’Augias revint à Romuald Wadagni : assainir les comptes hérités de l’administration précédente pour présenter un Bénin renouvelé auprès des investisseurs ainsi que des partenaires techniques et financiers. Chose faite, en 2019, le Bénin réussit à lever ses premiers eurobonds pour un montant de 500 millions d’euros. Le pays a ensuite renforcé sa présence sur les marchés internationaux en réalisant en 2021 une émission record d’1 milliard d’euros. Plus récemment, en février 2024, le Bénin a levé avec succès 750 millions de dollars US sur le marché des eurobonds. Pour ce dernier, le pays a connu un fort engouement des investisseurs, comme le montre le taux de couverture élevé de son émission (plus de 350%). Les rendements obtenus sont également inférieurs à ceux d’autres pays de la zone UEMOA pour des maturités similaires, ce qui témoigne de la confiance des investisseurs dans la solidité de son économie.

Il s’est également positionné sur les prêts concessionnels auprès de la BAD, de la Banque mondiale, de la BID, de l’AFD et même du FMI.

 

Des ombres au tableau

Si le bilan économique de la présidence Talon présente des aspects positifs indéniables, il convient de souligner certaines zones d’ombre.  La réduction de la pauvreté, bien qu’amorcée, reste un défi majeur.  Une grande partie de la population peine encore à subvenir à ses besoins essentiels.  De plus, la lutte contre la corruption, endémie chronique de nombreux pays africains, reste un chantier engagé, mais  le chemin est encore long.  Des organisations de défense des droits humains dénoncent également un recul des libertés publiques et un renforcement du pouvoir exécutif au détriment du législatif.

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